PRIX (POLITIQUE DES)

PRIX (POLITIQUE DES)
PRIX (POLITIQUE DES)

L’intervention de l’État sur les prix est fréquente dans les économies de marché, bien qu’elle soit contraire aux principes de ce type d’économie. Son origine est ancienne: elle remonte au moins à l’an 301 et à l’édit du maximum de Dioclétien. On connaît aussi les mesures prises par la Convention, en 1793 et 1794, pour tenter d’empêcher la hausse des prix de la plupart des biens. Mais elle s’est surtout développée au cours des deux grandes guerres mondiales avec la généralisation des contrôles directs sur l’économie et l’extension des secteurs publics.

La plupart des économies de marché développées disposent encore aujourd’hui d’instruments d’intervention sur les prix et n’hésitent pas, selon les circonstances, à les utiliser dans certains secteurs ou dans l’ensemble de l’économie, notamment pour freiner la hausse des prix et faciliter l’application d’une politique des revenus. Cependant la généralité ou la répétition de ces pratiques n’est pas le signe évident de leur efficacité.

L’intervention sur les prix n’a pas donné les résultats que les gouvernements escomptaient, c’est-à-dire la maîtrise de l’inflation. Il n’est que dans le domaine des entreprises publiques que la théorie et la pratique ont atteint un niveau élevé de précision et d’efficacité. Mais ce n’est qu’un domaine annexe dans le champ large de la politique des prix.

En ce qui concerne l’efficacité de la politique des prix dans la lutte contre l’inflation, beaucoup de progrès restent à accomplir: les objectifs doivent être mieux circonscrits, les liens avec les autres instruments de la politique économique doivent être mieux assurés, les résultats doivent être mieux appréciés, les limites et les inconvénients de ce type d’intervention, quant à l’efficacité de l’économie, doivent être mieux mesurés et pris en considération. Peut-être la politique des prix deviendra-t-elle alors une arme rationnelle dans la panoplie des politiques économiques et non plus seulement une mesure de répit ou de transfiguration de l’impuissance, destinée à frapper ou à rassurer les imaginations et les opinions plus qu’à infléchir les réalités.

1. Objectifs et instruments de la politique des prix

La politique des prix consiste dans l’intervention de l’État sur les prix des biens et des services afin de modifier leur libre fixation et de prévenir des hausses ou des baisses sur un ou plusieurs marchés ou dans toute l’économie. On traitera ici des biens et services à l’exclusion des facteurs de production (et donc de l’intervention de l’État sur le marché du travail et sur le marché du capital) et des politiques visant à réglementer les salaires et autres revenus.

Pour comprendre la politique des prix, il faut bien voir ce qu’est un système de prix. C’est à la fois un système d’information (sur les prix relatifs et les raretés relatives des biens), et un système de répartition des revenus (puisqu’en économie de marché les prix sur les marchés commandent, en dernière analyse, la productivité et la rémunération des facteurs, et que l’échange, avec monnaie, sur les marchés permet la répartition monétaire des revenus). Dans le système de prix, on doit distinguer les prix relatifs (rapports des prix des différents biens et services exprimés en monnaie) et le niveau général des prix. Un même système de prix relatif est combinable avec différents niveaux généraux de prix. L’évolution du niveau général des prix (mesurée à l’aide d’un indice synthétique des prix) est fonction de la quantité de monnaie. Le niveau général des prix tend à croître (il y a donc inflation) quand la création monétaire croît plus vite qu’il n’est nécessaire aux transactions et aux besoins de l’économie. L’intervention sur les prix peut donc viser à satisfaire des objectifs différents: des objectifs généraux et/ou des objectifs particuliers.

L’État intervient sur certains prix parce que les marchés auxquels ils correspondent revêtent une importance particulière et qu’il souhaite corriger les conséquences, en termes de revenus (pour les producteurs) ou de pouvoir d’achat (pour les consommateurs), de la rareté ou de l’abondance relatives qui existent sur tel ou tel marché. Ainsi les prix agricoles sont souvent l’objet d’interventions en raison de leur nature propre: ils sont spécialement instables et concernent les revenus de larges fractions de la population. L’État agit dans ce cas pour éviter des baisses, réduire des fluctuations, sinon pour provoquer des hausses. Il peut agir aussi pour provoquer des baisses quand il considère que la situation du marché profite trop aux agriculteurs et que l’évolution des prix alimentaires entraîne la baisse du revenu réel des consommateurs. Il peut agir quand il veut faciliter la consommation d’un bien ou, au contraire, l’entraver. L’État peut intervenir aussi sur bien d’autres marchés pour faciliter des baisses ou éviter des hausses. Dans le premier cas, l’intervention se fait au profit des consommateurs, dans le second, au profit des producteurs. Elle dépend le plus souvent de la force relative et de l’organisation des uns et des autres. On a ainsi observé des interventions dans des domaines aussi différents que ceux du logement, des transports, de l’énergie, des spectacles, de la santé, des alcools, des tabacs, des journaux, etc.

La politique des prix obéit à un objectif plus large lorsque les interventions visent à maintenir la stabilité du niveau général des prix (ou à freiner la hausse) en situation inflationniste et à préserver, par contrecoup, l’équilibre de la balance des paiements. La politique des prix est alors un des instruments utilisables dans la lutte contre l’inflation. L’objectif demeure général lorsqu’il s’agit de favoriser la croissance et le plein emploi d’une économie en réglementant les marchés pour proscrire les monopoles, les ententes, les obstacles à la concurrence et donc pour rapprocher les conditions de détermination réelle des prix des règles théoriques de la concurrence parfaite.

Au service de ces objectifs, on dispose de trois grands modes d’intervention: la réglementation des marchés, l’intervention indirecte et l’intervention directe sur les prix.

Réglementation des marchés

Les réglementations des marchés visent le plus souvent à protéger le consommateur mais parfois aussi le producteur. L’intervention de l’État consiste à fixer des règles pour le fonctionnement du marché et à surveiller le respect de ces règles. Cette réglementation affecte inévitablement les prix.

On peut classer ces interventions en quatre grandes catégories:

– Les interventions qui visent à maintenir la concurrence en empêchant la constitution de monopoles, en interdisant les ententes et la fermeture des marchés. Appartiennent à cette catégorie toutes les politiques de maintien de la concurrence ainsi que la réglementation des brevets et des licences, dans la mesure où elle organise la propriété des découvertes et en limite la durée.

– Les interventions qui visent à contrôler les monopoles en les réglementant. Dans ce cadre, l’État définit les cahiers de charges des monopoles qu’il reconnaît (service de transports, radiodiffusion, production d’énergie, etc ). Le monopole est accepté mais on lui impose des contraintes qui affecteront les prix pratiqués (en l’empêchant notamment de fixer des prix excessifs) et limiteront ainsi son pouvoir sur le consommateur.

– Les interventions qui visent à réglementer la concurrence . Les consommateurs ne sont pas seulement menacés par les monopoles ou les ententes; il peut arriver que la concurrence revête des formes dommageables aux intérêts du public. Par exemple, les formes de concurrence déloyale qui entraînent des fraudes sur la nature des produits, ou la dissimulation de certaines de leurs caractéristiques, ou encore la destruction de ressources naturelles par la collusion des intérêts de vendeurs à la recherche de profits immédiats et de consommateurs à la recherche de satisfactions immédiates, au détriment des générations futures ou de la santé publique. Entrent dans cette catégorie les politiques qui visent à défendre le consommateur et à garantir son information (notamment dans le domaine alimentaire et pharmaceutique), à éviter les pratiques déloyales de concurrence, à réglementer la publicité, à conserver les ressources naturelles et à protéger la santé publique.

– Les interventions qui visent à limiter la concurrence internationale . Il s’agit de toutes les formes de protection des produits nationaux à l’encontre des produits susceptibles d’être importés de l’étranger. On utilise les droits de douane, les quotas d’importation et une multitude de restrictions moins voyantes ou plus subtiles (fiscalité, commandes de l’État, normalisations adéquates, etc.) qui permettent toutes de protéger les producteurs nationaux en les laissant libres de pratiquer des prix indépendamment du marché international.

Intervention indirecte

Pour agir indirectement sur les prix, l’État peut intervenir sur l’offre ou sur la demande. L’abondance de l’offre entraîne la baisse des prix, alors que la pénurie provoque la hausse. L’État agit sur l’offre lorsqu’il veut contrarier de tels mouvements et peut le faire par quatre types d’interventions pratiquées conjointement ou indépendamment. Il peut d’abord organiser le stockage du produit et, selon les circonstances, restreindre ou accroître l’offre; la quantité mise sur le marché varie grâce à un retrait provisoire antérieur, et l’on obtient ainsi la variation recherchée du prix. Il peut aussi orienter une fraction de l’offre vers des marchés extérieurs de façon à réduire la quantité offerte sur le marché intérieur. Il peut encore orienter une fraction de l’offre vers la transformation du produit; il réduit ici encore la quantité offerte. Enfin, l’État peut réduire ou accroître les quantités produites, en en limitant directement la production, en utilisant une politique sélective du crédit, une fiscalité discriminatoire ou des subventions, la politique de l’emploi et de la formation professionnelle, c’est-à-dire les différents instruments de la politique économique susceptibles d’affecter le comportement des producteurs. L’utilisation de subventions aux producteurs est le moyen le plus efficace pour maintenir ou accroître l’offre à un prix inférieur à ce qu’il devrait être (en France, c’est notamment le cas en matière de transports par rail).

L’abondance de la demande entraîne la hausse des prix, et sa réduction provoque la baisse. Pour contrarier de tels mouvements, l’État agit sur la demande, soit en la rationnant afin de maintenir le prix malgré la pénurie, soit en accroissant la consommation lors de la surabondance. Il le fait alors en augmentant, par exemple, la distribution de revenus en nature ou par diverses formes de consommation publique. Dans ce cas, il achète directement aux producteurs les biens nécessaires qu’il répartit, consomme ou détruit ensuite. Il maintient donc artificiellement une demande élevée. Il aboutit aux mêmes résultats en prenant à sa charge certaines dépenses de commercialisation des produits: information, publicité, organisation des marchés, promotion des exportations. Il peut enfin, et c’est le cas le plus fréquent, utiliser la fiscalité indirecte pour freiner ou encourager la demande de certains biens ou services en renonçant à la neutralité fiscale et en provoquant des distorsions dans la structure et l’évolution des prix relatifs.

Intervention directe

Au centre de la politique des prix, on trouve le contrôle direct. En intervenant sur le niveau des prix, l’État conserve l’apparence du marché mais y introduit un élément d’économie administrée. On distingue deux types de mesure: la taxation et le blocage des prix.

La taxation implique la fixation du prix d’un bien ou d’un service par les autorités publiques. Le prix fixé est soit un prix maximal que les producteurs ne pourront dépasser – et la mesure devrait servir à protéger le consommateur –, soit un prix minimal, qui vise à protéger le producteur.

Le blocage des prix consiste à interdire sur un marché ou sur l’ensemble des marchés toute hausse des prix à partir du niveau atteint à la date où la mesure est prise. Ainsi, en France, en septembre 1963 dans le cadre d’un plan de stabilisation, en août 1969 et en juin 1982 après des dévaluations du franc, le blocage des prix fut-il décidé. Lorsque le blocage est général, comme il le fut dans ces trois cas, il s’agit d’un moyen utilisé pour prévenir ou arrêter rapidement une flambée inflationniste des prix et pour faciliter une politique des revenus.

La réglementation française est suffisamment complexe pour mériter une étude de ses particularités et de son évolution.

2. Quarante ans de réglementation des prix en France

La politique des prix en France a connu, de 1945 au milieu des années 1980, quatre étapes principales.

Le contrôle des prix de 1945 à 1966

Sur la base de deux ordonnances de 1945 (notamment celle du 30 juin), l’administration a procédé, pendant longtemps, d’une part à un contrôle des prix entraînant des régimes juridiques extrêmement variés et plus ou moins sévères, d’autre part, de temps à autre, à un blocage des prix.

Le contrôle des prix comportait une gamme de mesures, allant de la taxation simple à la liberté totale, en passant par la liberté contrôlée (les entreprises peuvent modifier leurs prix si elles en avertissent a priori l’administration) et la liberté surveillée (les entreprises peuvent modifier leurs prix si elles en rendent compte, a posteriori, à l’administration).

Le blocage des prix intervient à une date donnée, pendant un laps de temps plus ou moins long, et frappe à la fois les prix jusqu’alors totalement libres, et ceux contrôlés. Il est intervenu au cours de cette période en août 1952 (A. Pinay), en février 1954 (E. Faure), en juin 1956 (G. Mollet), en juillet 1957 (F. Gaillard), enfin de manière très générale et plus durable dans le cadre du plan de stabilisation du 12 septembre 1963. Le problème majeur du blocage des prix est celui de sa sortie. Sortie d’autant plus difficile que la période de blocage a été longue et a aggravé les distorsions entre les prix et les coûts.

Le retour progressif à la liberté des prix

Pour revenir à la liberté des prix, plusieurs méthodes ont été essayées.

La liberté contractuelle (1965-1973)

Dans cette phase, il faut distinguer trois procédures: celle des contrats de stabilité (1965), celle des contrats de programmes (1966) et celle des contrats anti-hausse (1971).

– Les contrats de stabilité : les producteurs d’une branche prennent l’engagement de maintenir leurs prix globalement stables; la hausse sur certains produits peut être compensée par une baisse sur d’autres produits. Le contrat est conclu pour une durée d’un an.

– Les contrats de programme (arrêté du 10 mars 1966): les contrats de programme tendent à instaurer une «liberté contractuelle» des prix. Ils sont conclus pour la durée du Plan . Cette formule consiste à lier la liberté des prix pour l’entrepreneur à la réalisation de certains objectifs par ailleurs contenus dans le Plan: une hausse des prix pourra être justifiée, si elle est accompagnée par exemple d’améliorations en matière de salaires et de conditions de travail ou d’investissement. Par ailleurs, ces engagements donnent lieu à une observation périodique et bilatérale (entreprise et administration) des progrès effectués. (En l’absence de contrats de programme, le blocage de 1963 subsistait.)

– Les contrats anti-hausse (16 septembre 1971) étaient conçus pour un an. Ce dispositif comportait un triple engagement: limitation à 1,5 p. 100 de l’augmentation des produits manufacturés; maintien des marges de distribution des produits manufacturés; maintien des prix de prestations de service . Cette tentative de limiter la hausse des prix des services et des marges de distribution, bien que limitée, est essentielle. En contrepartie, le gouvernement prend l’engagement de ne pas augmenter les charges publiques susceptibles d’accroître les coûts de production.

Malgré son succès apparent, cette réglementation est apparue trop rigide et a rencontré de nombreuses difficultés. Les contrats de programme et les contrats anti-hausse ont été remplacés par des accords négociés branche par branche. Les très petites entreprises (moins de vingt salariés) et celles particulièrement soumises à la concurrence étrangère ont recouvré la liberté des prix qui leur était nécessaire pour survivre.

Libération progressive des prix à la production de produits industriels, et régime de programmation annuelle contrôlée (1974)

Dans ce régime, les professions négocient avec l’administration des accords, qui prévoient pour un an l’évolution des prix de revient et des prix de vente et les conditions dans lesquelles peuvent être répercutées les hausses de coûts (le régime a été durci à partir d’octobre 1974, date à partir de laquelle il n’était plus autorisé de répercussion du coût des matières premières). Les hausses sont définies à l’avance en pourcentage ou en valeur absolue sans possibilité de modulation entre produits (refus du système des contrats de stabilité).

Dans le même temps s’est poursuivie la libération progressive des prix des produits industriels au stade de la production . Des arrêtés de libération ont ainsi concerné pratiquement la totalité des biens de production et des biens intermédiaires et une partie des biens de consommation.

Une attention spéciale a été accordée aux produits nouveaux : une des difficultés majeures de l’application du contrôle des prix a été en effet la propension des producteurs à transformer leurs produits en «produits faussement nouveaux» pour échapper au blocage ou à la taxation. Aussi un arrêté du 24 septembre 1974 contraint les entreprises à déposer un mois avant mise en application les tarifs nouveaux accompagnés de tous les éléments justificatifs.

Réglementation spécifique des prix à la distribution et des prestations de service (1974-1975)

On a souvent souligné l’importance de ces prix dans l’inflation générale. Aussi une réglementation spécifique a-t-elle été adoptée en ce domaine en 1974.

En décembre 1974, le régime des prix à la distribution était celui de la stabilité des marges en valeur relative, produit par produit . De contrôle et d’application difficiles, ce régime est modifié en juin 1975: des marges de distribution maximales sont fixées pour certains articles, sous forme de coefficients multiplicateurs. Par ailleurs est mis en place un régime de stabilité des marges exercice par exercice . Pour réduire au minimum la rigidité de la réglementation, les producteurs soumis aux coefficients multiplicateurs peuvent y échapper par voie d’engagements avec la Direction générale des prix et de la concurrence.

En ce qui concerne les prestations de services, c’est essentiellement un régime conventionnel qui fut adopté: les organisations et les groupes professionnels peuvent conclure des engagements nationaux ou des conventions départementales. Par ailleurs, là aussi, les prix des services modifiés ou nouvellement rendus sont assujettis à un dépôt préalable auprès de l’administration.

Du gel des prix (sept. 1976-déc. 1976) à la liberté des prix (1978-1981)

En raison de la gravité de la situation économique, le gel des prix est institué en septembre 1976 sur tous les produits et services, tant à la production qu’aux différents stades de la distribution, quels que soient le régime de prix auquel ils se trouvent soumis et la nature juridique de l’entreprise. Mais, dès avant les élections de mars 1978, le gouvernement entend maintenir l’objectif de retour à la liberté des prix, qui apparaît comme une condition essentielle au bon fonctionnement d’une économie concurrentielle de marché .

Reprenons les termes mêmes du Programme de Blois (janvier 1978): «L’expérience montre qu’une réglementation prolongée des prix conduit, à terme, à leur hausse sensible, réduit la liberté de gestion des entreprises sur le marché national comme sur les marchés internationaux, et reporte sur le budget de l’État la solution des difficultés et des distorsions qu’elle entraîne... Pour les entreprises privées, et d’abord pour les entreprises industrielles, il conviendra, en premier lieu, d’assurer un retour aussi rapide que possible à la liberté des prix... Dans cette perspective, un projet de loi sera élaboré pour substituer à l’ordonnance de 1945 sur les prix une législation plus adaptée à une économie moderne et ouverte.»

Qu’est-ce qui justifiait une telle politique?

La recherche d’une politique des prix efficace doit être comprise à partir d’une analyse sérieuse de l’inflation: pour la combattre efficacement, il convient d’en distinguer les causes. Les premières, d’ordre conjoncturel , tiennent à l’augmentation trop rapide des coûts de production. Il s’agit d’une part du prix des matières premières importées par la France – notamment du prix du pétrole brut –, d’autre part de la progression des rémunérations. Il importe donc ici d’agir par la réduction des coûts et non par la hausse des prix. À côté de ces causes conjoncturelles figurent des facteurs structurels d’inflation qu’il importe de combattre: se trouvent ici impliqués un ensemble de situations et de mécanismes qui sont sources de rigidité, causes de surenchères, générateurs d’anticipations inflationnistes et qui constituent de réels obstacles à une saine concurrence . Manifestation et non cause d’un certain désordre économique, les prix doivent donc retrouver leur liberté de manière à remplir avec efficience leur rôle économique d’indicateur de rareté et d’efficacité.

Comment a-t-elle été mise en œuvre?

Des engagements de modération et la libération des prix industriels ont d’abord été demandés aux agents économiques. Compte tenu de la nécessité de poursuivre l’action engagée le 22 septembre 1976, il ne pouvait être envisagé de revenir à une liberté pure et simple. Le régime arrêté le 23 décembre 1976 prévoit donc que cette liberté s’exercera dans le cadre d’engagements de modération pour les prix industriels à la production. Ces engagements, souscrits volontairement par les professionnels, agréés par le ministre de l’Économie, précisent le taux moyen d’évolution des prix retenu pour chaque secteur. Prévu pour l’année 1977, ce régime a été reconduit pour l’année 1978. La libération des prix est devenue effective au second semestre 1978, le gouvernement ayant décidé de rendre progressivement, mais de manière irréversible, la liberté des prix à l’ensemble des secteurs industriels. Tous les prix industriels à la production ont été libérés, à l’exception des produits énergétiques (essence, carburant, gaz, électricité, chauffage urbain).

Cette politique de libération s’est ainsi développée: a ) les entreprises publiques ont été incitées à pratiquer des tarifs le plus proches possible de la vérité des prix (notamment en matière d’énergie). Pour cela, les concours de l’État aux entreprises publiques ont été progressivement réduits; b ) entre 1979 et 1981, les prix des services ont été libérés par étapes; c ) en 1980, les marges commerciales ont été libérées (sans que cette libération provoque en 1980 et 1981 d’augmentation sensible).

Avant la dévaluation de juin 1982, et la nouvelle politique des prix qui en est résultée, la situation était la suivante: les prix agricoles, les prix des produits alimentaires et les prix industriels étaient libres. Les marges commerciales étaient libres. Les prix des carburants avaient été quasiment libérés. Les principales prestations de services rendues aux ménages (hôtellerie, coiffure, nettoyage, etc.) étaient soumises à la liberté conventionnelle sous forme d’accords de régulation. Les autres prestations de service étaient libres.

Le blocage des prix de juin 1982

Telle était la situation quand a été décidé par le Gouvernement, le 11 juin 1982, le blocage général des prix et des marges. L’objectif de ce blocage – qui s’accompagnait d’un blocage des salaires et des autres revenus – était de rechercher la maîtrise de l’évolution des prix, des coûts et des revenus, non par la déflation mais par la modification des comportements nominaux des agents économiques. Plus précisément, l’objectif était de rompre les anticipations inflationnistes et les indexations afin de ramener la France à un taux d’inflation comparable à celui des autres grands pays industriels. Il s’agissait d’un blocage très général qui ne souffrait que deux exceptions: les prix agricoles et les prix de l’énergie importée.

Sortie du blocage et évolution vers un régime contractuel

Après la sortie du blocage des prix de l’été 1982, les pouvoirs publics sont revenus à des procédures plus souples, qui varient selon les activités économiques entre un régime purement contractuel et un régime purement réglementaire, et privilégient d’une façon générale le régime contractuel. Les objectifs ont été fixés après concertation avec les professions concernées, et les modalités d’application diversifiées en fonction de contraintes propres à chaque secteur, afin notamment de privilégier la reconstitution des marges des branches industrielles et des grandes entreprises publiques les plus affectées par le choc pétrolier, puis par la hausse du dollar.

Les «engagements de lutte contre l’inflation» et les «accords de régulation» portent essentiellement sur le niveau même des prix ou des marges. En contrepartie d’engagements relatifs aux pourcentages et au calendrier des hausses de tarifs, les engagements de lutte contre l’inflation laissent aux chefs d’entreprise leur responsabilité en matière de prix. Les prix des entreprises qui ne respecteraient pas leurs engagements pourront être fixés par décision des pouvoirs publics.

Pour certains services, ceux qui sont peu soumis à la concurrence, la sortie du blocage ressort d’accords de régulation . Les prix des services exprimés en pourcentage sont bloqués jusqu’au 1er avril 1984, puis seront diminués de 1 p. 100.

Parallèlement, dans le commerce, les marges de distribution sont soumises à un régime de type réglementaire. Toutes les entreprises de distribution ou d’importation sont soumises au plafonnement de leur marge globale annuelle par rapport à une marge de référence définie dans le cadre d’accords de régulation.

Ainsi, en quarante ans, l’économie française a connu toutes les situations concevables en matière de politique des prix et a accompli un cycle allant du blocage à la liberté, en passant par la liberté partielle et le blocage provisoire, et en revenant au blocage général. Il est trop tôt pour connaître les résultats obtenus au cours de la dernière étape de cette politique. Cependant, la logique de l’économie de marché, l’ouverture des frontières et l’extension de la concurrence internationale font penser que l’économie française doit retrouver cette liberté d’abord dans le secteur exposé à la concurrence internationale, puis, dès que les nécessités conjoncturelles se seront affaiblies, dans l’ensemble de l’économie. Le retour à la liberté, ou plus exactement, pour la France, la libération des prix, devrait faire disparaître l’arsenal réglementaire et administratif qui encombre notre droit depuis 1944.

Même dans cette perspective, il convient d’être attentif à trois problèmes particuliers que pose la politique des prix: l’intervention en matière de prix agricoles, la fixation des prix dans le secteur public et le renouveau des contrôles de prix pour lutter contre l’inflation.

3. Les prix agricoles

Les marchés agricoles sont caractérisés par l’instabilité de l’offre, par des accroissements rapides de productivité et par l’inélasticité de la demande. L’irrégularité, parfois la discontinuité de l’offre, combinées à une rigidité de la demande, entraîneraient, sans intervention de l’État, de fortes fluctuations et une baisse relative des prix. Il en résulterait, malgré l’exode rural, un effondrement et une grande instabilité des revenus agricoles, et, en définitive, une mutation trop brutale d’un secteur traditionnel, utile à la société comme conservateur de la nature et qui doit déjà affronter des bouleversements techniques considérables et supporter des disparités de situation importantes. De plus, l’influence politique de l’électorat paysan ne peut être sous-estimée par les gouvernements. Pour toutes ces raisons, dans la plupart des pays développés les prix agricoles ne sont pas libres. Les marchés sont organisés et souvent protégés, les prix soutenus de diverses manières (taxations, subventions, etc.) de façon à garantir les revenus des agriculteurs et à régulariser la décroissance des effectifs employés.

En France et, depuis 1962, dans la Communauté économique européenne, les prix de la plupart des produits agricoles sont soutenus à des niveaux supérieurs à ce qu’ils seraient en l’absence d’intervention des autorités publiques. Les principaux mécanismes utilisés sont: la fixation des prix, les tarifs protecteurs, l’action sur l’offre, notamment par l’intermédiaire des stocks, l’action sur la demande, les subventions aux exportations, la dénaturation ou le retrait des produits. Toutes ces mesures visent à défendre le revenu des agriculteurs.

Le même objectif est poursuivi en Grande-Bretagne et partiellement aux États-Unis mais au moyen de paiements compensateurs. Pour éviter d’imposer des prix élevés aux consommateurs, on laisse les prix fluctuer librement et on accorde aux agriculteurs une subvention correspondant à la différence entre les prix des produits vendus et une somme correspondant aux engagements pris par les pouvoirs publics. Cette méthode a des avantages économiques mais elle est onéreuse pour les finances publiques. Elle convient surtout aux pays à faible population agricole.

On a reproché à la politique européenne d’être trop coûteuse à la fois pour les budgets des États et pour les revenus des consommateurs, d’avantager les gros producteurs, de gêner les exportateurs de produits agricoles dans le reste du monde et de freiner l’adaptation de l’agriculture aux progrès économiques. Aussi a-t-on suggéré de remplacer progressivement le soutien des prix par des aides directes aux agriculteurs les moins favorisés, autrement dit de substituer une politique sociale à une politique de prix. Le transfert de la charge du consommateur au budget, et donc au contribuable, devrait faire que la production soit tôt ou tard remise en question ou tout au moins contrôlée. Cela permettrait d’éviter de ne soutenir que les plus riches et d’aider les agriculteurs qui en ont le plus besoin, afin de leur permettre de survivre, de s’organiser, de se former, de mieux produire ou, éventuellement, de se reclasser dans d’autres secteurs professionnels.

L’ensemble de ces considérations a finalement conduit les ministres de l’Agriculture de l’Union européenne à réformer la politique agricole commune (P.A.C.) en 1992. Cette réforme, qui est mise en œuvre sur trois campagnes à partir de 1993-1994, substitue progressivement au système de soutien des prix celui d’un soutien au revenu reposant principalement sur des aides directes à l’exploitation.

4. Les prix du secteur public

Plusieurs économistes (dont M. Allais, A. Lerner, A. Lewis, P. Massé, G. Dessus, M. Boiteux) ont émis, vers les années quarante, l’idée que l’État devrait, en ce qui concerne les prix des entreprises publiques qui ne sont pas sur des marchés concurrentiels (et les prix de vente des services publics), pratiquer des tarifs qui couvrent exactement non pas le coût moyen à un moment donné, mais le coût marginal. Depuis, dans leur gestion, les entreprises publiques françaises en situation de monopole ou de quasi-monopole et leurs autorités de tutelle se sont progressivement ralliées à cette conception.

La fonction principale d’un système de prix est d’orienter les choix des consommateurs et des producteurs pour atteindre l’optimum, c’est-à-dire le maximum de satisfactions pour un volume de ressources rares. Pour cela, le comportement rationnel du consommateur doit coïncider avec l’avantage collectif, ce qui implique que la tarification soit neutre, que pour l’être elle repose sur le coût marginal et qu’elle soit, sous cette forme, supérieure à tous les autres types de tarification.

La neutralité tarifaire

Le consommateur doit choisir, pour un service égal (électricité, fuel ou charbon; transport par rail ou par air), la solution qui lui coûte le moins cher. Si le bien produit par l’entreprise publique est vendu plus cher que son coût, il en résultera une incitation à économiser l’emploi de ce bien et à utiliser des biens plus coûteux (pour l’économie). Si le bien produit par l’entreprise publique est vendu à un prix inférieur au coût, le consommateur est incité à utiliser davantage de ce bien et à utiliser moins de biens qui sont en réalité moins coûteux (pour l’économie). Pour que l’intérêt du consommateur coïncide avec l’avantage collectif, il faut que le bien soit vendu à son coût. Car, en choisissant la solution la plus avantageuse pour lui, le consommateur choisit en même temps la moins coûteuse pour la collectivité. L’objectif principal d’une tarification est donc d’informer et d’orienter correctement le consommateur en lui faisant supporter les charges dont sa demande est responsable. C’est en ce sens qu’on dit qu’une tarification doit obéir au principe de neutralité. Il faut que les prix n’entraînent pas de distorsions entre comportements individuels et avantage collectif.

La tarification au coût marginal

Pour fixer le prix de vente, on utilisera non pas le coût moyen de la production de l’année mais le coût marginal, c’est-à-dire le chiffre le plus proche possible des dépenses supplémentaires que l’entreprise publique doit engager pour satisfaire chaque consommateur. Le problème est de tarifer en fonction de ce que coûtera à la collectivité toute consommation supplémentaire. Le coût marginal peut différer du coût moyen (dans le cas de rendement croissant il est inférieur, et supérieur en cas de rendement décroissant).

Pour que chaque consommateur supporte la charge dont sa demande est responsable, on doit utiliser le coût marginal. Il s’agit d’orienter le consommateur «à la marge» qui hésite entre l’électricité et le gaz, ou entre le train et l’avion. De fait, dans une situation donnée, pour Électricité de France (É.D.F.) ou pour Gaz de France (G.D.F.), pour la Société nationale des chemins de fer français (S.N.C.F.) ou pour Air-Inter, tous les consommateurs sont marginaux, puisqu’ils sont susceptibles de consommer effectivement ou de renoncer. Mais le coût marginal n’est pas le coût variable entraîné par une consommation supplémentaire (coût variable, ou coût partiel, ou coût proportionnel). Le coût variable correspond, par exemple, à la quantité de charbon nécessaire à une production supplémentaire d’électricité dans une centrale thermique. En payant au coût marginal, le consommateur doit supporter non les seules charges dont il est responsable, mais toutes les charges (qui comprennent évidemment les coûts fixes: amortissement, intérêt du capital, etc.). En un mot, il s’agit de tarifer tous les consommateurs pour toutes les charges.

Lorsque l’entreprise a une capacité de production excédentaire (capital sous-employé), les demandes supplémentaires n’augmentent pas les charges fixes et n’entraînent que des accroissements de coûts variables (rendement croissant). Le coût marginal (donc le prix) devra décroître au fur et à mesure que la demande augmente. Lorsque, par contre, le capital est pleinement utilisé, le coût marginal devra augmenter pour produire la même qualité de bien (rendement décroissant).

La tarification au coût marginal n’a pas pour seule fonction d’orienter le consommateur, elle doit aussi inciter le producteur à toujours se rapprocher du maximum des rendements croissants, c’est-à-dire à accroître sa production s’il est en situation de rendement croissant, et à s’équiper davantage s’il est en situation de rendement décroissant (sous-équipement).

Les autres modes de tarification

Quelles sont les autres politiques de prix concevables, pour le secteur des entreprises publiques? On peut en définir, au moins, quatre:

– La politique de monopole à la recherche du profit maximal. Les entreprises publiques sont souvent en position de quasi-monopole. Elles peuvent donc accroître leur profit en restreignant la vente et en élevant le prix. Il en résulte un gaspillage de ressources, lié à une mauvaise information des agents économiques. Néanmoins, cette politique est pratiquée dans beaucoup de pays (en Allemagne notamment). Elle évite les problèmes de financement. Elle offre un critère simple (le profit) de l’efficacité relative des entreprises.

– La politique de production maximale sous contrainte budgétaire. Les entreprises doivent vendre le maximum de ce qu’elles peuvent vendre sans déséquilibre entre charges et recettes. Les prix de vente pourront donc différer des coûts marginaux. Pour réaliser son objectif de vente maximale, en équilibre des comptes, l’entreprise devra discriminer en faisant payer le plus cher possible aux consommateurs à demande rigide et le moins cher possible aux consommateurs à demande élastique. Ici, le gaspillage provient de ce que l’on fait payer trop cher certains consommateurs et que l’on en attire d’autres avec des tarifs inférieurs au coût pour la collectivité. Le tarif n’est pas seulement fonction du coût du service rendu, mais aussi du prix que le client peut payer. La discrimination est parfois légitime. Elle est excessive lorsqu’elle conduit à des gaspillages et elle fausse les calculs économiques.

– La tarification au coût moyen. Elle a pour avantage de garantir l’équilibre des comptes de l’entreprise, mais, si elle est avantageuse pour l’entreprise, elle ne l’est pas pour la collectivité. Elle tend, en effet, en situation de rendement croissant, à écarter les consommations marginales quand elle fixe un prix trop élevé, et en situation de rendement décroissant, à accroître les consommations marginales quand elle fixe un prix trop bas. Dans ce cas, on renonce à orienter les consommations et l’on accepte d’inévitables gaspillages. Par exemple, sous le prétexte fallacieux d’une utopie de juriste sans signification économique (l’égalité devant le service public), on serait amené à faire payer l’électricité le même prix aux heures de pointe et aux heures creuses. Le consommateur marginal en heures creuses doit être encouragé (rendement croissant) et le consommateur marginal en heures de pointe doit être découragé (rendement décroissant) par des incitations tarifaires reposant sur les différences de coûts marginaux. Masquer la diversité des coûts marginaux réels par la tarification au coût moyen aboutit à des péréquations occultes et injustes. Cela revient à faire financer les gaspillages imposés par l’encombrement de certaines demandes par des utilisateurs qui n’ont pour défaut que de consommer au moment ou au lieu où leur consommation est moins coûteuse pour la collectivité.

– La politique de redistribution volontaire ou involontaire des revenus. Toute politique qui s’écarte de la tarification au coût marginal entraîne une redistribution des revenus. La tentation est grande d’utiliser les entreprises publiques pour redistribuer les revenus, par exemple en réduisant les tarifs des consommations domestiques d’électricité ou de transports de personnes, en augmentant les tarifs des consommations industrielles ou des transports de biens, en majorant les prix des consommations dans telle région et en les minorant dans telle autre, ou encore en minorant les prix de l’électricité pour les agriculteurs isolés et en l’augmentant pour les consommateurs urbains concentrés.

Il ne s’agit pas ici de discuter de la légitimité de ces redistributions mais de l’efficacité de l’instrument utilisé. D’abord, elles aboutissent à un tel degré de complexité dans les comptes que plus personne ne sait exactement qui subventionne qui et pour quel montant. En second lieu, elles entraînent des gaspillages en séparant les tarifs des coûts marginaux. Enfin, la caractéristique d’une démocratie représentative est que les impôts doivent être votés par les représentants des contribuables. C’est aux assemblées représentatives, et non aux entreprises publiques, qu’il revient de définir l’impôt et les subventions et de désigner les contribuables et les bénéficiaires.

La redistribution occulte et confuse qui découle d’une tarification à intention redistributrice, ou plus souvent à conséquence redistributrice, ne satisfait ni la clarté des comptes, ni l’efficacité dans l’ordre économique, ni les exigences du partage des responsabilités dans l’ordre de la légitimité démocratique. Toute redistribution, considérée comme souhaitable par les autorités compétentes, serait possible et devrait s’effectuer par un système de fiscalité et de subventions. Par exemple, si l’on souhaite aider les familles nombreuses, il suffit de les subventionner. Et si l’on souhaite affecter cette subvention à une consommation déterminée, on peut demander à l’entreprise publique de leur délivrer des titres de transport moins chers ou gratuits. Mais l’État doit alors se substituer au consommateur protégé pour payer l’entreprise au coût marginal. C’est le seul moyen d’éviter la confusion des rôles et des comptes.

L’État, l’entreprise publique et la collectivité gagnent à cette clarté. L’État mesure avec précision l’efficacité de sa subvention et son coût pour les finances publiques. L’entreprise, dont l’équilibre n’est pas affecté par des objectifs extérieurs à son activité, peut être gérée de la façon la plus efficace, et définir ses prix en fonction de ses coûts. La collectivité évite le gaspillage grâce au maintien d’une tarification qui oriente les consommateurs, sans renoncer à des transferts de revenus entre ses membres. En théorie, les avantages de la tarification au coût marginal sur les autres types de tarifications ne font guère de doute. La pratique invite peut-être à nuancer cette affirmation mais ne semble pas la contredire.

5. Deux décennies de lutte contre l’inflation

À la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, il est devenu évident que la politique des prix, par blocage et contrôle des hausses, devenait un instrument essentiel des politiques anti-inflationnistes, au même titre que la politique budgétaire et la politique monétaire. Cette évolution est nette en France (1966, 1968-1971 et 1982), aux Pays-Bas (1970), au Canada (1970), aux États-Unis (août 1971), en Italie (1973), en Grande-Bretagne (1974-1978).

Le retour à la politique des prix s’explique par l’échec, au cours des années soixante et soixante-dix, des politiques concertées de contrôle de la croissance des revenus (politique des revenus ou politique des principes directeurs, guide lines ). Le blocage des prix devient un moyen de briser la spirale inflationniste et le complément nécessaire des mesures autoritaires qui pourraient être prises en matière de blocage des salaires. Cette politique est également soutenue par des économistes qui, comme J. K. Galbraith, considèrent que les prix dans les économies modernes sont en fait des instruments dans la stratégie des grandes entreprises et non les résultantes des forces du marché. Quoi qu’il en soit de cette controverse théorique, sans portée majeure car ce ne sont pas ces considérations sur le mécanisme des prix qui ont entraîné les gouvernements à choisir cet instrument de politique économique, il reste vraisemblable que les contrôles des prix seront utilisés dans les économies développées de marché tant que l’on n’aura pas forgé d’instruments meilleurs pour la lutte contre l’inflation. Dans ces conditions, il faut en peser les avantages et les inconvénients. Cette question donne lieu à un débat pour tenter de peser les difficultés et les avantages de cette politique.

Les contrôles de prix sont difficiles à mettre en œuvre dans une économie complexe. On risque, si on les maintient trop longtemps, de réduire l’efficacité de l’économie de marché. Or les variations des prix relatifs jouent un rôle fondamental dans une économie pour que la production soit efficace et les consommateurs satisfaits. L’observation de l’organisation et des techniques de production et du niveau de satisfaction des consommateurs, dans les pays qui ont peu ou prou renoncé aux mécanismes des prix, illustre suffisamment les mérites d’un système de prix; de même que la mesure des conséquences, sur l’économie française et le logement des Français, du blocage d’un prix: le loyer des locaux d’habitation. D’autre part, le blocage des prix agit davantage sur les manifestations de l’inflation et sur certaines propensions psychologiques que sur les causes réelles du déséquilibre et sur les imperfections des marchés. Enfin, après de telles mesures, il est de plus en plus difficile pour un gouvernement de «sortir» d’un blocage des prix sans relancer par là même l’inflation.

Que constate-t-on lorsqu’une forte vague d’inflation submerge (les années soixante-dix et quatre-vingt) les économies occidentales? La comparaison attentive des variations de prix dans les pays qui pratiquent, ou tentent de pratiquer, de tels contrôles et dans ceux qui n’interviennent pas ne fait pas apparaître un avantage décisif en faveur des premiers, si l’on veut bien ne pas tenir compte des satisfecits que se délivrent périodiquement les gouvernements et les administrations intéressés, mais s’en tenir aux indices de prix. On peut toutefois plaider que la situation aurait été pire sans ces contrôles. Proposition indémontrable et invérifiable.

Un point important, souvent négligé, mérite d’être abordé. C’est la question de la justification réelle de la politique des prix en matière d’inflation. Dans une économie de marché, la fonction des hausses de prix est d’orienter correctement les décisions économiques et donc d’éliminer des causes de gaspillage. Lorsque la hausse d’un prix est empêchée pendant une certaine période, le bien considéré est davantage consommé qu’il ne devrait l’être. Pendant toute la période de blocage, et en attendant que l’on revienne, au cours d’un processus plus ou moins long, au niveau des prix qu’impose le marché, on induit des décisions économiques non rationnelles de consommation. Sans compter toutes les décisions, de la part des producteurs, qui visent à échapper au blocage: multiplication des types de produits, modification de la nature du produit, etc. Or toutes ces décisions irrationnelles accentuent l’inefficacité dans l’économie, qui est elle-même une des causes du déséquilibre inflationniste entre l’offre réelle et la demande monétaire.

Ces difficultés admises, il faut reconnaître que l’instrument peut être utile sur de courtes périodes et pour des situations exceptionnelles. Il faut aussi reconnaître qu’il joue sur des mécanismes psychologiques qui tiennent une grande place dans le processus inflationniste. Si cette politique est orientée vers la vérité des prix et appliquée avec prudence, elle peut ne pas exercer d’effets pervers sur les structures économiques. Des procédures contractuelles peuvent y aider comme elles peuvent faciliter la «sortie» de la période des contrôles. Mais ni la connaissance scientifique et statistique des effets des contrôles de prix, ni même l’expérience politique des gouvernements n’ont permis de conclure en faveur du maintien des politiques de prix dans l’arsenal des politiques modernes. À l’inverse des politiques monétaires et financières et des politiques de structure, sans doute les politiques de prix s’attaquent-elles plus aux symptômes qu’aux causes. Elles ont traduit plus de désarroi que de maîtrise, plus d’archaïsme que de lucidité.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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